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  • J'veux baiser qu'avec toi, ça s'dit pas... Et un bébé comme toi ça s'prête pas... Ca s'prête pas... De vie en vie... C'est pas l'enfer, mais c'est pas l'paradis... La musique adoucit les moeurs. La poésie aussi. Ecrire ça défoule. Bienvenue ici.
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10 septembre 2005

Déboires administratifs

La logique administrative veut que, pour occuper le poste que je brigue, je sois inscrit comme demandeur d'emploi. Ca n'a l'air de rien, comme ça, mais faut encore y arriver.

Mercredi donc, je devais aller me réinscrire comme demandeur d'emploi (fictif, le demandeur, puisque l'affaire avait été conclue fin juin; il ne manquait plus que la dépêche ministérielle). Je m'amène cool rue Beaurain, à C., vers les 9h30. Ciel bleu, soleil du matin, je me gare sur le boulevard Surlet de Chokier et je fais le tour du bloc, croisant des gamins en rollers et lunettes noires. Je tourne le dernier coin de rue, en face du conservatoire, et je m'apprête à pousser la porte de l'office de l'emploi... mais je me ravise immédiatement : devant moi, une file de gens, une bonne vingtaine de mètres, en plein milieu de la rue, presque jusqu'au boulevard. Je me râcle la gorge, je longe la file et je prends ma place. Quelques uns sont assis sur le rebord des fenêtres, et avancent ainsi sur le trottoir en parallèle avec la personne qui les précède dans la file. 

Une femme qui porte un sac plastique de supermarché aborde la jeune fille devant moi. "Tiens, Aurore, qu'est-ce que tu fais là à cette heure-ci? T'es pas folle? T'en as pour toute la matinée!! Ma pauvre, mais il faut venir bien plus tôt que ça enfin... Quand je suis passée ici à 7h et demie, il y avait déjà des jeunes qui étaient assis près de la porte!! Ca ne sert à rien de rester là, à midi tu ne seras pas encore entrée et ils fermeront. Reviens demain, tôt le matin." Et Aurore d'emboîter le pas de la femme, j'ai gagné une place.

Des voitures longent la queue, s'arrêtent pour déposer quelqu'un, vont attendre un peu plus loin, deux roues sur le trottoir. Une BMW, puis un combi Mercedes... Une voiture de sports roule au pas, boum-boum-boum-tchakkk-boum... et disparaît au coin de la rue. Une camionette à l'enseigne d'un installateur d'électricité s'arrête quelques mètres devant moi. Le passager baisse sa vitre et hèle les gens. "J'engage dix personnes!! Qui veut venir travailler? Dix emplois!" Quelques personnes se retournent et sourient. On entend la voix qui dit "Tu vois, je te l'avais dit. Il n'y en a pas un qui bouge." Si il avait été à ma hauteur, je lui aurais signifié que tout le monde n'était pas forcément au chômage ici, c'est le bureau administratif, pas le guichet de pointage. La camionette redémarre en ronronnant.

Mine de rien, en cinquante minutes j'ai enfin atteint la porte d'entrée. Je jette un oeil derrière, la file est toujours aussi longue que lorsque je suis arrivé. Le hall d'entrée n'est pas très long et les bureaux d'accueils ne sont plus qu'à quelques enjambées. Une photo de George Grün, assis à l'envers sur un cheval de trait, décore le mur. Il est écrit "George Grün n'est jamais passé par le forem. Dommage, il aurait pu réussir une belle carrière de footballeur". Un peu plus loin, on a réservé le même sort à Pierre Kroll, qui a loupé sa carrière de dessinateur, et qui a dû se reconvertir en une sorte de gardien d'immeuble. On le montre lisant son journal dans ce qui ressemble à une loge de concierge, les sourcils froncés. C'est de l'humour, sans doute. Mais je ne peux pas m'empêcher de me dire que c'est de la mauvaise pub pour le forem, vu que dans la réalité, ils l'ont faite, leur carrière. Et de m'interroger sur la pertinence de faire de la publicité pour un service public.

Ces réflexions me font tout de même patienter jusqu'à la préposée qui m'accueille en souriant.

   — Je souhaite me réinscrire comme demandeur d'emploi.

  — Certainement, Monsieur, avez-vous votre A19?

  — Non, désolé, je l'ai perdu. Ca fait déjà un certain temps que...

  — Ce n'est pas grave, puis-je avoir votre carte d'identité?

Elle me tend un carton sur lequel elle a griffonné un numéro à huit ou dix chiffres, et un petit papier qui porte le numéro 39.

  — Voilà, veuillez patienter.

Avant il y avait des petites annonces un peu partout dans la salle d'attente. Maintenant il n'y a plus que des brochures qui expliquent les différentes situations administratives, ou qui encouragent les gens à suivre des formations. Il y en a pour tous les âges. Ceux qui ont trouvé un siège les feuillettent, ou discutent à voix basse. Certains visages sont tendus, d'autres impassibles, ou impatients. Le moniteur affiche "9c". Encore trente personnes. J'en  compte trente-cinq dans la pièce. J'avise un siège libre, je vais m'y asseoir et je visse mon regard sur le moniteur le plus proche. C'est un écran quatorze pouces qui a dû faire son temps. Le numéro est inscrit en noir dans un grand carré blanc qui occupe presque tout l'écran, et autour on voit quelques nuages dans le ciel bleu de "Windows 95". Il y en a trois ou quatre, répartis dans la pièce. Les numéros défilent. Mentalement, je calcule la moyenne de temps par numéro. Entre une minute et deux minutes. Il doit y avoir cinq bureaux d'ouvert. Les lettres P, C, J, B et A se succèdent. Ma voisine de gauche s'adresse à un jeune homme aux lunettes bleues, assis à côté d'elle.

  — Ca va encore assez vite... Mais ce qui est bizarre, c'est qu'on ne voit personne sortir...

Je me tourne vers elle et je lui dis, "Peut-être qu'on n'en ressort pas!

  — C'est ce que j'étais en train de me dire! Ils ont trouvé le moyen pour faire baisser les statistiques du chômage..."

  — Ce serait un bon début de scénario pour un film de social-fiction.

Je repense à "SOS Bonheur", de Jean Van Hamme.

Le jeune homme sourit. La dame se lève et se dirige vers les toilettes. Elle a laissé sur sa chaise une brochure du forem et son petit papier qui porte le numéro 35. Je crève d'envie de l'échanger avec le mien, pour lui faire une blague. Mais elle n'a peut-être pas le coeur à rire. Le garçon me sourit toujours. L'oreillette de son lecteur mp3 n'émet aucun son audible. Il est grand et mince, et avec ses cheveux blonds et ses lunettes teintées, il a vraiment beaucoup de classe. Il me rappelle étrangement quelqu'un. J'engage la conversation.

  — C'est la première fois que tu viens ici?

  — Non, je travaillais dans un magasin de téléphonie mobile, et ils m'ont fait signer un contrat de 36 heures mais ils m'en faisaient prester plus de 40. Je me suis plaint et j'ai été viré quelques jours plus tard. Ca fait une semaine, et je n'ai toujours pas reçu mon C4. Et vous?"

  — Oh moi je viens remplir une formalité mais je n'ai pas de C4 non plus, mon directeur n'en avait plus. J'espère qu'ils ne me feront pas de problème.

  — Vous travaillez dans quoi?

  — Enseignement.

  — Vous êtes prof de quoi?

  — Chimie-biologie.

  — Moi je suis un graduat en chimie industrielle, au cours du soir. Je suis en deuxième année.

La dame vient se rasseoir.

Il continue à m'expliquer qu'il a fait ses humanités au Lycée technique, puis il a entamé un graduat en chimie clinique. Suite à des problèmes familiaux, il a arrêté, il a quitté ses parents et il a cherché du travail.

Le numéro 34 vient de s'afficher. Je regarde ma voisine, un petit sourire en coin et je lui dis "Vous êtes sur les starting-blocks!" Elle glousse. Dzzzzingggg! Numéro 35. Elle nous sourit tour à tour, l'air entendu, et franchit la porte. Je reste encore quelques minutes à bavarder avec le garçon, puis quand vient son tour, il se lève lentement, ramasse son sac et me dit "Bonne continuation" avant d'entrer dans la pièce.

  — Merci, à toi aussi.

Ce jeune gars doit cacher une grande anxiété derrière son flegme. J'espère que notre brève discussion lui aura apporté quelque chose de positif. Moi je me sens bien en tout cas. Je pense à Jon Snow. Leurs visages se confondent. Leurs silhouettes aussi. Où es-tu, Jon Snow? Est-ce que tu penses à moi en ce moment? Peut-être qu'en rentrant chez moi, tout à l'heure, j'aurai un message où il me demandera de l'attendre à 17h devant l'église de B. Nous ferons la route jusque M., et je lui raconterai mes errances administratives. Nous irons peut-être boire un verre sur la Grand'Place. Une sonnerie me tire de ma rêverie. Le numéro 39, bureau A. J'ouvre la porte, et je m'assieds devant le préposé. Le jeune homme aux lunettes bleues referme la porte de sortie sur lui.

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