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  • J'veux baiser qu'avec toi, ça s'dit pas... Et un bébé comme toi ça s'prête pas... Ca s'prête pas... De vie en vie... C'est pas l'enfer, mais c'est pas l'paradis... La musique adoucit les moeurs. La poésie aussi. Ecrire ça défoule. Bienvenue ici.
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10 septembre 2005

Déboires administratifs, deuxième

Avec mon attestation du forem qui certifie que je suis bien demandeur d'emploi, et la lettre du cabinet de la Ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, dont dépend le Centre où je travaille, j'étais fin prêt à affronter le dernier maillon de la chaîne à l'emploi : le Service Aide à l'Emploi du forem, dans les nouveaux bâtiments de la rue du Bief (enfin, nouveaux, ça doit faire cinq ou six ans maintenant).

Mon directeur m'avait remis l'enveloppe qu'il avait reçue du cabinet, avec la lettre signée de la Ministre mentionnant le numéro de convention de mon poste, ainsi que la réglementation de travail y afférant. Il m'avait dit :

  — Vous êtes assez grand pour que je vous confie tout ça.

  — Oui oui, bien sûr", avais-je répondu avec un petit sourire.

Il adopte souvent un ton paternaliste avec moi, mais ça m'amuse beaucoup plus que ça ne m'énerve, avec lui, ce qui constitue une exception de taille.

En entrant dans le hall d'accueil, désert, je demande pour la forme à me rendre au service APE, puisqu'un panneau prie les visiteurs de s'adresser d'abord à la préposée. Elle me répond que c'est au quatrième, face à l'ascenseur. Je me dispense de lui dire avec un air étonné, "Tiens! C'est toujours au même endroit?" J'appelle l'ascenseur et je monte au quatrième. Le service APE. J'y étais déjà venu l'an dernier, pour demander quelles démarches je devais effectuer au cas où je quitterais mon poste d'éducateur interne temporaire pour un poste de professeur sous contrat APE. Je devais purement et simplement démissionner, et puis me réinscrire comme demandeur d'emploi. On me l'avait fortement déconseillé. Je revois encore la tête de l'employée, appuyée contre la porte du bureau (qui est presque aussi large que le couloir) qu'elle venait d'entrouvrir, dix bonnes minutes après que j'ai frappé. Il est vrai qu'il était environ 15h52. Sa mine n'était pas vraiment réjouie. Mais elle est rapidement passé d'une grimace maussade à une expression presque enjouée, comme si j'étais venu lui demander  d'échanger mon Audi A8 flambant neuve contre sa Lada de 1975. A l'occasion, je lui avais demandé ce que signifiait APE, car pour moi cet acronyme ne signifiait rien d'autre que la gent simiesque, en langue anglaise. "C'est Aide pour la Promotion à l'Emploi, en fait ce sont les anciens ACS, Agents Contractuels Subventionnés", m'avait-elle répondu très sérieusement.

La porte de l'ascenseur s'ouvre sur l'étroit couloir, droit devant la porte du bureau en question. à droite, deux jeunes filles sont assises et bavardent calmement. A gauche, une table avec des documents "à remplir avant de toquer", comme le demande un avis collé sur la porte. Un casier contenant les formulaires, un bic accroché à une chaînette de 50 cm de long. Deux chaises, l'une libre, l'autre occupée par un Kurt Cobain affalé sur la table, les mains dans le visage, recouvertes par une cascade de cheveux blonds et gras, les coudes appuyés en plein milieu de la table.

Je m'assieds, je pioche un document, je prends le bic en déposant la chaînette qui pend jusque par terre sur la table, dans le cliquetis des maillons qui réveille brusquement le gars de l'autre côté de la table. Il se redresse, croise les bras et secoue la tête. Je me mets à remplir le papier. Nom, prénom, date de naissance,... Situation : cocher la bonne réponse. Je bénéficie des allocations de chômage à temps plein. Je suis inscrit comme demandeur d'emploi mais je ne bénéficie... Ouf, il y en a une bonne dizaine. La porte s'ouvre, et une employée tend un paquet de feuilles au jeune type looké grunge, qui n'a pas bronché depuis son sursaut.

  — Voilà, c'est en ordre pour vous.

  — OK, merci.

Il se lève et se dirige vers l'ascenseur. Elle se tourne vers moi. Je la reconnais, elle travaillait déjà à la cellule ACS il y a dix ans, quand j'ai commencé à travailler chez Chevalier. Elle s'appelle Valérie.

  — C'est pour un contrat APE?

  — Oui, j'ai rempli le formulaire mais je ne sais pas exactement ce que je dois cocher.

  — Vous avez la lettre avec le numéro de convention?

  — Oui...

  — Donnez-moi tout ça, je m'en charge.

Elle me débarrasse de toute ma paperasse et disparaît derrière la porte. A quelques mètres de moi, les deux jeunes filles avaient observé la scène. Nous échangeons quelques regards, et je demande :

  — Vous aussi, vous avez un contrat APE?

  — Non, moi c'est pour travailler comme assistante maternelle, j'ai un contrat PTP.

  — Ah...

J'ignore ce que ces nouvelles initiales signifient. Encore un truc qui ne veut rien dire, comme APE ou ACS d'ailleurs. Ou pire, un terme péjoratif, comme CMT : "Chômeur Mis au Travail"... Ca a existé!! TP, ça peut vouloir dire Temps Plein. Mais P? Sans doute, Puéricultrice. Puéricultrice à Temps Plein. Mouais, ça tient. Mais avec P, il y a d'autres possibilités, comme... Bon, je chasse toutes ces pensées de mon esprit. Devant un comptoir, autour d'une bière, ça serait très drôle, mais là, il vaut mieux que je la ferme. J'embraye :

  — Vous travaillez comme puéricultrice dans une école maternelle, c'est ça?

  — Oui.

  — Dans quelle école?

  — Au Lycée de B. Et vous?

Je me relance dans mes explications. Elle me dit :

  — Figurez-vous qu'à B., il y a trois professeurs pour toutes les classes, en ce moment. Les temporaires n'ont pas encore été désignés. Et au primaire il manque aussi des instituteurs.

Je pense à Laetitia, qui a commencé comme professeur d'anglais dans une école primaire à J., la semaine dernière. Comme il n'y avait pas d'instituteur pour la classe de sixième, la directrice lui a demandé de prendre les élèves en charge toute la matinée.

Une autre employée ouvre soudain la porte, et remet des papiers à mon interlocutrice, qui prend congé. Une jeune femme distinguée arrive et prend la place de Kurt Cobain. Elle n'a pourtant rien d'une Courtney Love. Ce serait plutôt une hybride de Nana Mouskouri et d'Oum Kalsoum. Elle s'efforce de compléter son document en se battant avec la chaînette. Au bout de cinq minutes, elle me regarde et dit :

  — Je ne sais pas ce que je dois cocher, je ne rentre dans aucune catégorie.

  — Ne vous inquiétez pas, je ne savais pas non plus, mais la personne qui s'occupe de nos dossier le fera elle-même.

Elle m'explique qu'elle avait travaillé dans un ministère en Algérie, mais quand elle est arrivée ici, il y a quelques années, on lui a dit qu'elle n'avait pas droit au chômage car elle était statutaire dans un pays étranger et qu'elle avait démissionné. Alors elle a travaillé comme secrétaire dans des bureaux d'avocats ou pour des médecins. Ce qui n'a rien d'étonnant, à en juger par l'apparence.

Valérie B. fait tout à coup irruption dans le couloir et se plante devant moi.

  — Votre contrat, il commence le premier?

  — Oui, bien que la lettre soit arrivée le 2, mais mon directeur m'a remis une note pour expliquer...

  — Le problème n'est pas là. C'est que vous êtes réinscrit au forem depuis le 7. Nous ne pourrons donc vous payer qu'à partir du 8. Pour la première semaine, c'est votre établissement qui doit vous payer sur fonds propre. Autre chose, Monsieur... la lettre que vous m'avez remise, c'est l'originale?

  — Oui.

  — Mince.

Elle se précipite sur le bouton de l'ascenseur, qu'elle enfonce plusieurs fois nerveusement, trépigne devant la porte irrémédiablement close pendant deux minutes, et se résout à retourner précipitamment dans son bureau. J'échange un regard dubitatif avec ma voisine.  C'est bien ma veine de ne pas m'être réinscrit plus tôt. Qu'est-ce que ça change après tout? Ces tracasseries administratives ont le don de provoquer chez moi des grincements de dents innés. Et qu'est-ce que c'est que cette histoire de lettre originale? Je n'ai pas le temps d'imaginer le moindre scénario, que Valérie B. est à nouveau debout devant moi. Elle prend une longue inspiration, me tend mon passeport APE et me dit :

  — Tout est en ordre, vous pouvez aller signer votre contrat dans votre établissement. La seule chose, c'est que... hem... ma collègue, par mégarde, a remis votre lettre de désignation... comment dire? Votre lettre s'est glissée dans les documents que ma collègue des PTP a remis à une autre personne...

  — Qu'est-ce que vous me dites là?

J'entends M. Dechamps me dire "vous êtes assez grand"... J'imagine ma lettre posée sur le bord de la photocopieuse... La collègue PTP qui la ramasse nonchalamment, sans la regarder, avec les documents de la puéricultrice de B., tout en discutant d'autre chose avec une autre employée... qui la remet, à mon nez et à ma barbe,  à l'assistante maternelle, avec qui je suis en train de discuter... je la salue pendant qu'elle emporte ma désignation avec elle... et moi je reste là avec mon cul sur ma chaise, tranquille!!!!!

Valérie B. n'en mène pas large. Je sens qu'elle maudit sa collègue PTP un court instant. Et alors là j'éclate de rire.

  — C'est une blague", hasardai-je.

Valérie B. se ressaisit.

  — Rassurez-vous, il s'agit d'une personne de confiance, nous l'avons contactée sur son portable, elle va nous les renvoyer et je vous les transmettrai, je vais prendre votre adresse.

  — Oui, j'ai parlé un peu avec cette jeune fille, je ne doute pas qu'elle le fera..." hoquetai-je.

Une petite femme très brune était arrivée quelques minutes plus tôt, et ses yeux pétillaient d'assister à cette scène. Elle se mit à rire à son tour.

  — Et s'il faut, nous écrirons nous-mêmes à la Ministre, il n'y aura pas de problème.

  — Oui, oui, je vous fais confiance, mais renvoyez-la plutôt directement à mon directeur, ça sera plus simple. Voici l'adresse.

Valérie B. note, la rue, le code postal... Elle me regarde.

  — Ce n'est pas un restaurant, cela?

  — Si, si, entre autres, mais c'est aussi une école avec un internat.

La petite femme brune n'en peut plus.

Je salue cette joyeuse compagnie, et cinq minutes plus tard, je me retrouve sur le boulevard Vauban, direction chez Molière, le coeur assez léger, je dois bien le dire. Soudain, une voix m'interpelle : "Monsieur! Monsieur!" Sur le trottoir d'en face, la jeune puéricultrice court vers moi en brandissant une feuille A4. Je traverse, et je lui dis :

  — Mais il y a une seconde page...

  — Ah... venez jusqu'à ma voiture, nous allons vérifier. Et je dois regarder si elle m'a bien tout donné.

Je la suis dans la rue Montaigne. Dans l'enveloppe, elle trouve bien la seconde page de la lettre. Elle vérifie ses documents et nous prenons congé.

Je retourne au forem. L'employée de l'accueil m'indique le quatrième étage, en face de l'ascenseur. Valérie B. et la jeune femme algérienne sont en pleine conversation. La petite femme brune me regarde de toutes ses dents.

  — J'ai récupéré mon papier, mais je viens m'assurer que vous n'en avez plus besoin...

  — Si, si, je dois en faire une copie.

Valérie B. me l'arrache des mains et revient me le rendre trente secondes plus tard, angélique.

  — Merci infiniment. Je suis plus tranquille comme ça.

Je sens que la collègue PTP va s'en prendre plein la gueule pour pas un rond. J'emprunte l'ascenseur une dernière fois, en compagnie de la petite femme brune. En sortant du bâtiment, elle me lance :

  — Bonne chance!

  — Oui, je sens que je vais en avoir besoin.

Je m'éloigne en écoutant ses éclats de rire se perdre dans la foule.

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