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  • J'veux baiser qu'avec toi, ça s'dit pas... Et un bébé comme toi ça s'prête pas... Ca s'prête pas... De vie en vie... C'est pas l'enfer, mais c'est pas l'paradis... La musique adoucit les moeurs. La poésie aussi. Ecrire ça défoule. Bienvenue ici.
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15 janvier 2006

Retrouvailles

<<   Ma première vie   >>



Les vacances se sont terminées comme d’habitude. Après le quinze août, cours particuliers à la pelle. Fin du mois, un peu de stress en attendant une affectation. Mon poste chez M. Chevalier est reconduit. C’est avec joie que je retrouve la sombre silhouette du Lycée Technique Julien-Dulait, l’accueil tonitruant de Claudette, ma salle « Récré-Action » et son succès grandissant auprès des élèves. En guise de mot de bienvenue, M.  Chevalier m’a longuement entretenu dans son bureau, régulièrement interrompu par les soucis qu’il rencontrait avec sa connection Internet. Il espérait que M. Vignery ne me monopoliserait pas autant que l’année précédente dans son Institut supérieur. Heureusement, il avait fort à faire car, en cette rentrée, il fallait élire le prochain directeur administratif de l’établissement. Et en tant que coordonnateur pédagogique, il avait de bonnes chances d’accéder enfin au poste qu’il convoitait depuis longtemps.

Ce soir c’est le dîner de retrouvailles de notre ancienne école. Anne-Laure et moi nous sommes mis sur notre trente et un pour l’occasion. Alexandra et Guillaume ont réservé. Anne-Sophie aussi, une seule place. Personne n’a de nouvelles de Perrine, mais Véro revient d’Italie pour l’occasion, elle l’a confirmé à Birgit. Tiens, je me demande si Cyril sera là.

Certains trouvent bizarre de se retrouver dans ces murs, qu’on a si assidûment fréquentés pendant six pleines années, qui ont vu s’épanouir des idylles, les mêmes se faner, les rêves et les espoirs se faire et se défaire, les joies et les peurs adolescentes déferler dans nos jeunes cœurs… Moi ça ne me fait ni chaud ni froid. Ce ne sont pas les lieux qui m’émeuvent, ce sont tous ces gens réunis après tant d’années. Ces visages souriants, ces conversations enlevées à propos de telle anecdote, de telle répartie qu’on a racontées cent fois. Et puis il y a les conjoints, aussi. La plupart sont mariés et beaucoup d’entre eux ont déjà un enfant. D’ailleurs, plusieurs couples qui s’étaient formés à l’époque, qui avaient connu des périodes de rupture plus ou moins longues par la suite, s’étaient finalement réconciliés et consolidés, semblait-il. C’était notamment notre cas, à Anne-Laure et moi, mais également celui d’Eric et de Nathalie. Après avoir vécu quatre années chacun de leur côté, ils s’étaient retrouvés et ils venaient de se marier. Le repas était fini depuis longtemps et les verres de bière se succédaient à bonne cadence et nous en étions là, à discuter des hasards du destin avec ce charmant couple, lorsqu’une voix m’interpelle derrière moi.

Je me retourne et me retrouve face à un monsieur qui me sourit de toutes ses dents.

— Salut, dis ! Ca va ? Quelle surprise, je ne m’attendais pas à te trouver ici !!!

Je me lève, je lui tends poliment la main.

— Bonjour… Tu es aussi un ancien de l’école ?

— Ah non, non, ce n’est pas moi, c’est mon épouse, tu la connais peut-être, quoique vous ne soyez pas du même âge…

— Elle est de quelle promotion ?

— De 1971.

— Ah… Il y a peu de chances, en effet, que…

Je commence à sentir une pointe d’excitation en moi. Je ne sais pas du tout qui est ce type. Je sais que je l’ai déjà vu mais je suis incapable de me rappeler où ni quand. Mais j’ai fait comme si je le reconnaissais, pensant que la conversation sera brève. Et lui il croit que je l’ai reconnu. Donc, il prolonge la conversation. Et à présent, il est trop tard pour demander « mais au fait, qui êtes vous déjà ? ». Reste à attendre la phrase salutaire qui va trahir l’identité de mon interlocuteur, pour autant qu’elle arrive.

Ce genre de situation m’est familière. Ca m’est arrivé avec Karine, la femme de Franck. Ils s’étaient  rencontrés de peu lorsque je les avais croisés en rue et Franck me l’avait présentée. Du coup, je leur avais proposé de venir dîner chez nous le dimanche suivant, pour que Karine fasse connaissance avec Anne-Laure. Et le samedi après-midi, je fais tranquillement mes courses au supermarché pour préparer un festin digne de l’occasion. Au détour d’un rayon, une charmante jeune femme s’approche de moi en souriant et me dit bonjour en me faisant la bise. Impossible de me rappeler son prénom ni qui elle est.  « Excuse-moi, balbutiai-je, je sais qu’on s’est déjà vus, mais je… » Elle m’interrompt dans un large sourire en me disant « Je suis Karine, l’amie de Franck. On vient dîner chez vous demain… »

Le type qui me parle depuis dix bonnes minutes de la promotion de son épouse commence à me gonfler. J’ai bien envie d’abréger son discours lénifiant, d’autant qu’aucun indice ne me laisse deviner qui il est. Je m’apprête donc à mettre un terme poli mais ferme à notre entretien, lorsque la question fuse.

— Mais, dis-moi, et toi, professionnellement, tu en es où ?

— Euh… c'est-à-dire que… Eh bien je travaille dans un lycée technique depuis l’an dernier,…

Je commence à craindre sérieusement que ce type se trompe, qu’il me prend pour quelqu’un d’autre. C’est encore plus comique comme cas de figure. Mais, non. Sa réponse m’enlève toute hésitation.

— Quoi, tu es toujours chez M. Chevalier ? Mais alors, nous aurons bientôt l’occasion de nous revoir !!!

Non. Ce n’est pas possible. Pas lui. Je viens de le reconnaître à l’instant. Je me recompose le visage.

— Ah, bientôt, je ne sais pas. Il paraît que M. Vignery est fort occupé en ce moment.

— Vignery n’aura bientôt plus à s’occuper de quoi que ce soit, me dit-il derrière son petit sourire carnassier. On est en train de remanier toute la direction de l’Institut. Il va y avoir du changement. Lorsque Vignery se rendra compte qu’il n’a aucune chance d’être élu directeur, il prendra sa retraite.

Et c’est reparti de plus belle. Le voilà qui se met à me décrire en long et en large la situation de son école. Les représentants syndicaux ont changé. Lui-même est devenu délégué du syndicat socialiste. Comme Vignery est un libéral, il lui faudra le soutien de Philippart, et ce n’est pas gagné. Il fonde tous ses espoirs sur Fédora — est-ce que je connais Fédora ? C’est une femme de caractère. C’est la meilleure candidate pour l’avenir de l’école.

Je suis sauvé par Eric qui, trouvant l’individu importun, se lève, s’interpose entre lui et moi et me demande ce que je bois. Il me ramène une bière qu’il me tend en lançant un sonore « Santé ! ».

— Bon, je te rends à tes amis. A plus tard.

Anne-Laure me fusille du regard.

— C’est qui ce type ?

— C’est M. Lebarge, le prof d’informatique dont je t’ai parlé, l’an dernier.

Je me sens complètement vide. Il faut bien toute l’ingénuité de Véro, ses tribulations à travers la péninsule Italique, poursuivie par son Sicilien amoureux fou, pour me rendre ma contenance habituelle.

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